Karass

En général, quand tu pioches un bouquin dans ta bibliothèque, que tu le lis de la première à la dernière page pour finalement le ranger à nouveau gentiment sur l’étagère, tu t’en sors avec un résultat avoisinant le PAL -1. (Soyez pas impressionnés par mon esprit de déduction extraordinaire, en ce moment je regarde Sherlock et ça boost mes capacités) Et bien ce raisonnement mathématique ne fonctionne pas du tout, MAIS ALORS PAS DU TOUT avec Morwenna de Jo Walton. Une fois reposé, tu t’en sors plutôt avec PAL + 3 milliards. Amis des livres qui parlent des livres, ça devrait vous intéresser.

Morwenna Phelps, quinze ans, qui préfèrerait qu’on l’appelle Mori, ne parvient pas à s’intégrer au cercle de jeunes filles de l’école privée d’Arlinghurst, en Angleterre, où son père l’a récemment placée. Peu concernée par les marques de voiture, le maquillage et les méchantes petites intrigues de pensionnat, la jeune galloise, contrainte de marcher avec une canne depuis l’accident qui a couté la vie de sa jumelle Morganna, parle aux fées, pratique la magie et dévore des livres de science-fiction et de fantasy toute la journée. Pourtant elle aussi rêve d’avoir des gens qui comptent vraiment, un « karass » comme dans le roman de Kurt Vonnegut, qui lui permettrait de pouvoir tout affronter. A commencer par ces lettres inquiétantes qu’elle reçoit depuis quelques temps, avec des photos de sa soeur et elle, dont la silhouette est toujours soigneusement brûlée…

Ce roman est un tel bijou que je ne sais même pas trop par où commencer.

Dans son journal, Morwenna détaille scrupuleusement ce qui est devenu son quotidien au pensionnat d’Arlinghurst. A l’aube des années 80, la perte de sa jumelle est encore vive dans son esprit et continue à marquer durablement son corps, à travers sa mauvaise jambe. Les filles de l’école sont de petites brutes qu’elle parvient à tenir à l’écart en se donnant un genre inquiétant et elle ne vit plus que pour les romans des auteurs de SF et de fantasy qu’elle adore. Dans quel monde pourrait-elle se faire des amis, elle qui voit les fées que personne ne voit, qui la plupart du temps s’étonne des codes sociaux absurdes de ses pairs et qui est à moitié infirme ? Faudra t-il qu’elle utilise la magie pour cela ? Ou peut-être ignore t-elle que les livres qu’elle aime tant ont aussi le pouvoir de la mener vers des êtres et des lieux insoupçonnés. Tout est résumé dans une citation que l’auteure fait de Farah Mendlesohn en introduction : « Ca va s’arranger. Sincèrement. Il y a vraiment quelque part des gens que tu apprécieras et qui t’apprécieront. » Je sais pas vous, mais moi j’ai envie de dire : « Rien de plus vrai ».

Alors non, Morwenna ne fait ni dans l’action, ni dans le spectaculaire, mais c’est l’un des plus beaux romans sur l’adolescence, sur le droit à la différence et sur le pouvoir de la littérature et de l’imaginaire pour te rebâtir un monde quand le tien s’est écroulé que j’aie jamais lus de ma vie EVER. Et quand je vous parlais de PAL monumentale, j’étais sérieuse, puisque l’adolescente inonde les pages de son journal des auteurs et des titres qu’elle lit, de Silverberg à Le Guin, en passant par Tolkien, Asimov, Zelazny et j’en passe… A travers son personnage, c’est tout l’amour et l’hommage que Jo Walton veut rendre à ses héros qui transpire littéralement. Et qu’on soit un spécialiste de la SF ou un noob total, je crois que la magie opère de la même façon. On veut tout lire, tout de suite. Et voir si, comme pour Morwenna, toutes ces histoires parviennent à changer notre compréhension du monde, à nous faire envisager d’autres chemins.

Ce que j’ai adoré (aussi), c’est le principe même sur lequel repose ce récit, celui de la liberté de croire ou de ne pas croire, ce principe qui offre plusieurs niveaux de lecture et fait de l’imaginaire de Jo Walton quelque chose de précieux. Morwenna le dit elle-même, la magie, ce n’est pas comme dans les livres mais ça ressemble plus aux voeux qu’on formule avec force quand on est enfant, qu’on assortit de multiples petits rituels censés attirer la chance ou repousser le mauvais sort. On y croit, on voit les fées, on y trouve plutôt une image… Tout est valable. (Moi je crois aux fées, parce que sinon elles meurent, et après c’est la merde totale.) Je vous disais que si vous cherchiez un récit musclé, il faudrait probablement passer votre chemin, mais Morwenna n’en demeure pas moins passionnant dans l’évocation du folklore gallois gentiment creepy à ses heures, et dans la menace qui pèse sur l’héroïne.

Ode aux bibliothèques auxquelles l’auteure dédit son ouvrage, ode aux âmes différentes qui en cherchent d’autres, ode aux fictions dans lesquelles on trouve tout pour grandir et devenir qui on veut… C’est un coup de coeur total et monumental, largement partagé je crois puisqu’il a quand même décroché les pas dégueu prix Hugo et Nebula… Et moi je vous laisse, parce que j’ai genre mille livres à lire.

 

Jo Walton, Morwenna, Folio SF

19 réflexions sur “Karass

  1. Olala, les bouquins qui citent d’autres bouquins, j’adhère de suite :p. Le reste du résumé à l’air plutôt pas mal en plus. Je ne connaissais pas du tout cette auteur par contre! Je dormirai moins bête ;).

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  2. Et voilà je le savais ! Je savais que j’aurais dû l’acheter il y a 4 mois, quand je l’avais repéré. I KNEW IT ! Et d’ailleurs je vais m’arrêter, si tu me le permets, à ton intro et début d’avis avec Emma Stone, et courir me le procurer (mmh il est 20h passé, ça risque d’être difficile. M’EN TAPE).
    Alors Sherlock, on est entièrement séduite, ça y’est ? :p

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  3. Pingback: Morwenna – Déjeuner sous la pluie

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