Mot compte triple

Bon je sais qu’en vacances, il y a la team polars qu’on peut pas décoller de ses polars avec option meurtre à Reykjavik alors qu’il fait trente degrés à la Baule mais la team « je vais enfin avoir le temps de lire ce petit essai pour lequel je n’ai pas de neurone disponible après le boulot » existe aussi. (j’ai une carte de fidélité dans les deux perso) Pour la seconde équipe, et la première aussi soyons fous, j’ai envie de recommander l’une de mes dernières lectures de la bibliothèque féministe, un classique rayon américain, Bad Feminist de Roxane Gay. Rassurez-vous, c’est le genre de# bouquin qui se prête carrément à l’été où on a juste envie de péter toute la culpabilité entassée le reste de l’année sous le matelas pneumatique bourré d’électricité statique.

Roxane Gay est romancière, essayiste, professeure d’anglais et d’écriture créative à l’université. Elle est aussi une femme noire, grosse, bisexuelle et féministe. Bad Feminist réunit plusieurs de ses textes sur le genre, la race, les représentation du corps et sur son histoire personnelle pour un grand plongeon dans ma passion… LE FEMINISME INTERSECTIONNEL.

A l’opposé d’une lutte trop longtemps confisquée par une élite blanche hétéro occidentale donneuse de leçon, il y a le besoin de se sentir représenté.e quand d’autres facteurs de discrimination par rapport à la norme entrent en jeu, tout en n’oubliant pas qu’on jouit toujours de privilèges par rapport à d’autres individus et qu’en prendre conscience, c’est le premier pas à faire. Et à partir de là, faire de son mieux. C’est tout le propos du livre. « Je préfère être une mauvaise féministe que ne pas être féministe du tout. » écrit-elle.

Quand Roxane Gay décrit le conflit intérieur qui se joue en elle lorsqu’elle se met à danser sur du Robin Thicke ou qu’elle se régale dans son canapé devant la télé-réalité, y a comme un miroir magique qui se matérialise sur la page et qui, au lieu de te dire qui est la plus belle, te dit juste « AH C’EST TOI ÇA MA GUEULE ». Un peu que c’est moi, un peu que c’est un paquet de monde. Et plutôt que de culpabiliser nos contradictions, l’autrice se propose plutôt de les dédramatiser et de les interroger.

Ce concept me parle à fond et est un pilier de ma propre vision du féminisme et le mieux, c’est que ça n’empêche pas Roxane Gay de déconstruire tout un tas de représentations liées au genre, à la race, à l’orientation sexuelle dans la pop-culture, la littérature, les médias et la politique de façon hyper pointue. J’ai littéralement adoré le chapitre « Pas là pour me faire des amis » où elle parle du fait qu’on ne pardonne jamais aux femmes antipathiques dans les bouquins, les films ou les séries alors que des types comme Patrick Bateman seront considérés comme des personnages intéressants. Les femmes doivent être gentilles et sourire, même dans la fiction.

Et toujours dans cette idée de paradoxes avec son propre féminisme ou ses propres luttes, l’autrice interroge les représentations mainstream qui nous ont construit.es, dans son cas une série de bouquins pour enfants mettant en scène de jolies fillettes blanches au comportement exemplaire, excluant de facto l’enfant racisée qu’elle était. Questionner a posteriori les aspects problématiques d’oeuvres qui ont en partie forgé ce qu’on est peut-être plus salvateur que de les évacuer simplement. (Difficile de revoir The L Word sans tiquer sur la blanchité, les privilèges de classe et le traitement des personnes trans. Difficile aussi de ne pas reconnaitre l’absolue révolution que cette série a opérée en moi.)

Et c’est le genre de réflexion que j’aime, pointue et radicale sans sombrer dans la bêtise ou la facilité. Je ne suis pas sur la même longueur d’onde pour tout, mais son expérience personnelle ô combien douloureuse, qu’on découvre au fil des ligne avec la boule dans la gorge, légitime absolument tout son discours.

 

Roxane Gay, Bad Feminist, Points

4 réflexions sur “Mot compte triple

  1. Je l’ai lu pendant le confinement et je l’ai beaucoup apprécié également. Je sais que certains lui ont reproché un côté assez fouillis, sachant qu’il s’agit avant tout d’un recueil de chroniques parues dans la presse.
    J’ai beaucoup aimé le fait qu’elle soulève de nombreux sujets sans être dogmatique, et nous laisse avoir notre propre point de vue sur les choses !

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