Les bocaux sous la terre

C’était le prénom sur toutes les lèvres à la dernière rentrée littéraire, le prénom qui mettait des étoiles dans les yeux à tous les libraires à peine prononcé, celui qui m’a fait acheté un livre de sept cent pages les yeux fermés… Betty. Des critiques dithyrambiques tellement unanimes que la peur d’être déçue devenait vertigineuse, aussi l’ai-je gardé soigneusement au creux de ma bibliothèque, le temps que l’ouragan passe. Mais maintenant, oui, je l’ai lu, et j’ai envie d’ajouter mon petit coup de foudre à toutes les déclarations d’amour qui ont déjà été faites à propos de ce merveilleux roman. Betty.

Tout commence au milieu des années 30, dans le cimetière où les parents de Betty se sont rencontrés. Elle est blanche, à la maison, il n’y a pas d’amour. Il a la couleur de peau de ceux qu’on regarde de travers, parce qu’il descend d’une longue lignée Cherokee. Lorqu’elle tombe enceinte, Landon fait ce qu’il faut et il l’épouse. C’est comme ça que débute l’aventure des Carpenter, au gré des routes, de la vie en marge et des enfants qui naissent… jusqu’à ce que la paix et la stabilité semblent vouloir s’incarner en une grande maison abandonnée au coeur de la nature foisonnante de l’Ohio, dans la petite ville de Breathed. Les Carpenter n’ont pas un rond, ici aussi, ils ne seront jamais assez blancs, mais Landon puise dans tout l’amour, toutes les histoires de son esprit fabuleux et des femmes Cherokees qui l’ont précédé pour envelopper toute sa famille dans une bulle protectrice, un petit paradis où le merveilleux côtoie le naturel, où les femmes sont toutes puissantes et où tous les remèdes seront trouvés dans un bon jardin. Betty est la sixième de ses enfants, celle qui lui ressemble le plus, « La petite indienne ». A mesure qu’elle grandit auprès de ses frères et soeurs et que le monde frappe à la porte de leur univers, Betty découvre peu à peu ce que c’est d’être Cherokee, ce que c’est d’être née femme, et tout ce qui peut se cacher dans les recoins des silences des familles.

En un roman, Tiffany McDaniel a peut-être résumé tout ce qui fait que je placerai toujours bien au-dessus de tout la littérature américaine. Pour raconter l’histoire éternelle du vol de la terre, du racisme, de la violence, de la haine des femmes, des choses indicibles universelles, elle passe aussi par la poésie, par l’amour, par un style (une traduction de François Happe) lumineux et par des personnages qui ne vous quittent plus, bien après les derniers mots. Il y a Landon, bien sûr, l’un des plus beaux personnages de père qui m’ait été donné à lire, qui connait si bien les plantes, qui vit un peu dans chacun de ses enfants, qui raconte des histoires extraordinaires auxquelles on meurt d’envie de croire, né pour arrondir les angles dans lesquels il se niche. Il y a Alka, si imprévisible, qui ne sait pas comment ça fonctionne, l’amour. Il y a Leland, le tout premier de la fratrie, déjà parti. Il y a Fraya, si frêle, si douce, qui couve ses soeurs du regard de celle qui passe par les choses de la vie la première. Il y a Flossie, née pour être star, aussi piquante que les roses auxquelles elle rêve de ressembler. Il y a Betty, qui écrit les choses à enfouir sous la terre. Il y a Trustin et ses dessins. Et puis il y a Lint, si doux et né dans l’inquiétude, qui collecte les petits cailloux pour se protéger d’un mal qui l’assaille depuis son premier souffle.

C’est un roman inspiré par Betty, la mère de l’autrice. C’est aussi un roman absolument magnifique sur la famille, la fin de l’innocence et sur ce que c’est, d’avancer avec des secrets terribles. Forcément, c’est souvent très difficile (tw violence sexuelle notamment), mais cet équilibre entre l’ombre et la lumière est tout juste trouvé. Il y a un passage (oh il y en a beaucoup plus mais) qui m’est resté en tête pour ça :

« Parfois, je pense que l’univers est juste une lueur. La lueur d’une cigarette dans le noir. Toutes les étoiles, les planètes, les galaxies, les marges infinies. Tout cela est contenu dans le petit bout rouge d’une cigarette dans la main d’un homme, qui, appuyé contre un mur pour suivre des yeux une fille qui rentre chez elle, sait déjà qu’elle n’arrivera jamais jusque-là. »

Lisez ce livre, offrez ce livre, parlez-en (encore plus !) et faites-le vivre, c’est une absolue merveille.

Tiffany McDaniel, Betty, Gallmeister

4 réflexions sur “Les bocaux sous la terre

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