La Barrière Gaïa

Je crois que l’une des choses que je préfère en matière de lecture, c’est tomber sur une nouvelle plume, un nouvel univers qui me laisse toute fébrile. Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance d’être sélectionnée par la Team Livraddict (un grand merci !) et les éditions Folio (un immense merci !) pour découvrir le recueil de nouvelles de Thomas Day, Sept secondes pour devenir un aigle. Et devinez quoi ? Fébrilité.

Une île mystérieuse, ultime terre de Magellan aux courbes voluptueuses qui abrite des arbres à papillons, un jeune indien à qui on va apprendre deux ou trois leçons en termes d’intransigeance écologique, un homme viscéralement lié au tigre, un trio de japonais qui développe un petit business de recyclage de biens abandonnés dans les zones contaminées de Fukushima, des aborigènes qui échappent à un monde rêvé par les blancs dans un programme de réalité virtuelle et une vision post-apocalyptique de la Terre dominée par les machines de Lumière Noire, une intelligence artificielle toute puissante… Dans ses six nouvelles, Thomas Day confronte d’une façon ou d’une autre l’homme à la nature et à sa nature.

On oublie trop souvent à quel point la nouvelle est une forme noble (ou alors je généralise et ce n’est que moi), surtout lorsqu’elle s’insère dans un recueil à la cohérence sombre et fascinante. Dans Sept secondes pour devenir un aigle, Thomas Day passe par le post-apo, l’uchronie, le fantastique, la fable, par un imaginaire inclassable en fait, pour évoquer de grandes problématiques écologiques et le rapport perverti qu’entretient l’homme avec la nature.

Ce qui m’a marquée, c’est cet attachement de l’auteur à nous proposer une vision de l’homme en posture d’affrontement perpétuel avec la nature, comme s’il n’était pas lui-même une créature issue de son sein, comme si au beau milieu de nos sociétés et de nos technologies nous étions devenus autre chose, une chose contre laquelle la Terre doit se défendre. La thématique de la violence jalonne les six nouvelles, violence des hommes, violence de la planète qui n’hésite pas à retourner les armes des « envahisseurs » contre eux… (Je vous défie de ne pas être littéralement fascinés par le concept de la Barrière Gaïa de la sublime nouvelle Ethologie du Tigre). Terrorisme écologique, communautés, surpopulation, protection des espèces en danger, engagement radical pour la planète, progrès technologique, contrôle des intelligences artificielles… Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a matière à réflexion dans ce recueil dont l’optimisme est à la hauteur de nos perspectives actuelles. (Ouais, ça pique.)

Thomas Day convoque un imaginaire puissant, et mon dieu, écrit selon mon coeur. Vous savez, quand vous avez l’impression de comprendre instinctivement des choses magnifique ou terribles, parce qu’elles ont l’air d’être envoyées comme des punchlines, direct au cerveau ? Bah on y est. Et pourtant, ces six nouvelles sont très distinctes les unes des autres, mais outre la cohérence du projet, elles sont liées par ce style épuré, évident.

Le recueil s’ouvre avec Mariposa, sûrement pas la nouvelle la plus accessible de l’ensemble, mais dont les techniques narratives m’ont bluffée. Si j’avais un conseil pour l’entamer comme un patachon, ce serait en commençant par Ethologie du tigre, pour la subtilité de l’imaginaire et la relation incroyable qu’entretient le protagoniste avec la créature qui l’a défiguré ou par Lumière Noire, une nouvelle post-apo jouissive à la Fall Out (y’a même un type barré qui squatte les ondes radio) où la Terre et ses survivants sont perpétuellement survolés par les drones d’un Dieu d’un nouveau genre.

Sombre, fascinant, intelligent, terrifiant aussi… Ce recueil est un véritable coup de coeur. A tel point que je n’ai pas attendu pour me procurer Dragon du même auteur, chez Le Bélial. Conseillé mille fois mes licornes.

 

Thomas Day, Sept secondes pour devenir un aigle, Folio SF. 

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