Indéfini

Vous n’avez pas pu passer à côté de Petit pays de Gaël Faye qui a (entre autres) remporté le Goncourt des lycéens, et moi c’est un prix qui me parle et qui me permet de faire souvent de très belles découvertes. J’ai décidé de m’y plonger enfin dans le cadre de mon boulot, à la médiathèque, où l’on va très prochainement discuter identité culturelle. Oh et aussi, je suis dans ma période bleue. (Toujours rêvé de balancer gratuitement une réplique pédante dans le genre.)

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Burundi, 90′ : Gabriel vit dans un quartier d’expatriés avec son père français, sa mère rwandaise et sa petite soeur Ana. Ses journées, il les passe avec les copains dans la plus grande insouciance. Mais l’imminence de la guerre civile et l’horreur qui se profile au Rwanda vont avoir raison de ce petit âge d’or. Brutalement, Gabriel découvre que les êtres humains ont un besoin cruel de se définir et qu’on ne reste pas « juste un enfant » bien longtemps.

Est-ce que ça vous est déjà arrivé, de vous remémorer moment marquant, beau ou juste drôle de votre enfance et d’avoir irrésistiblement envie de le partager avec quelqu’un ? Souvent, même avec la meilleure volonté du monde, on ne parvient jamais tout à fait à transmettre l’intensité de notre souvenir et on aimerait avoir les bons mots, là, dans l’instant. Si je ne devais retenir qu’une chose de ce roman, c’est le talent de Gaël Faye pour créer une connexion directe entre la mémoire de son personnage et son lecteur. La langue est simple mais directe, belle et surtout d’une authenticité frappante. En gros, il a les bons mots, là, dans l’instant.

Gabriel va retourner dans ce petit pays qui l’a vu grandir, le Burundi. La cueillette des mangues, les moments passés dans le combi du terrain vague, les histoires incroyables des copains, un vélo volé, la lettre d’une correspondante… Enfant, il se souvient d’un paradis terrestre. Mais l’histoire va mettre un point d’honneur à le faire grandir trop vite. Lui qui pensait juste être un gosse, ami avec d’autres gosses, découvre soudain qu’il existe une infinité de nuances pour décrire les êtres humains. Des mots étranges comme « Hutu » ou « Tutsi » apparaissent tout à coup, de simples mots qui entendent régir à présent son monde. Et peu importe que Gabriel refuse se choisir, de se définir… On ne lui en laissera pas le choix. Et peu importe où il ira, il faudra expliquer d’où il vient, « qui il est », même si ça n’a aucun sens au fond.

Drôle, touchant, et puis terrible aussi, Petit pays est un vrai bon bouquin qui mérite amplement tout le bien qu’on en dit. Et si vous en doutez encore, ça, c’est l’un de mes passages préférés :

« J’ai beau chercher, je ne me souviens pas du moment où l’on s’est mis à penser différemment. A considérer que, dorénavant, il y aurait nous d’un côté et, de l’autre, des ennemis, comme Francis. J’ai beau retourner mes souvenirs dans tous les sens, je ne parviens pas à me rappeler clairement l’instant où nous avons décidé de ne plus nous contenter de partager le peu que nous avions et de cesser d’avoir confiance, de voir l’autre comme un danger, de créer cette frontière invisible avec le monde extérieur en faisant de notre quartier une forteresse et de notre impasse un enclos. Je me demande encore quand, les copains et moi, nous avons commencé à avoir peur. »

 

Gaël Faye, Petit pays, Grasset

10 réflexions sur “Indéfini

  1. Je ne l’ai toujours pas lu parce que… je suis trop rebelle dans ma life et je trouve qu’il est trop mainstream.
    Nan plus sérieusement, quand un livre est vraiment TROP médiatisé, il en vient à me faire peur : j’ai trop peur d’être déçue, du coup j’attends en général que la folie retombe ou tout simplement je le laisse de côté…

    Aimé par 2 personnes

    • Oh dans tous cas, il n’y a vraiment pas de quoi ! Je ne sais pas s’il te plaira autant qu’à moi mais pour en avoir discuté avec d’autres lecteurs, même ceux qui n’ont pas été transportés trouvent que c’est une lecture très très agréable.

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