« Autour de la maison, l’arbre sans fin dort encore. »

S’il y a une lecture de confinement à faire en ce moment, c’est bien Chez soi de Mona Chollet. D’une, parce que les excellentes éditions Zones (La Découverte) mettent gratuitement à dispo l’ouvrage en numérique sur leur site. De deux, parce que les plus casanier.es d’entre nous (l’élite secrète de la nation) y trouveront une ode bienvenue au foyer, ce rempart et cette fenêtre au monde si peu célébré.es et interrogé.es. De trois, Mona mothafckin Chollet.

Quand j’étais petite, j’avais une idée très précise de ma maison de rêve. Ce n’était pas celle de l’album jeunesse Ma Vallée de Claude Ponti dont l’autrice parle dans le dernier chapitre, mais presque. Moi je voulais vivre dans L’Arbre sans fin comme Hippollène. L’histoire est aussi belle que triste puisque l’héroïne se transforme en larme après la mort de sa grand-mère et entame ensuite un grand voyage mais ce dont je me souviens vraiment, c’est l’incroyable maison-arbre sans fin qui débordait littéralement des pages. Je devais avoir quelque piges seulement mais j’ai des images très nettes des films que je me faisais, des cachettes que j’imaginais sous les feuilles, des tous petits trous où se nicher dans cette immensité de bois et de vert.

Colossale ou réduite à quelques mètres carrés, en béton ou montée sur des roues, cabane dans les arbres ou piscine intérieure, on a tous et toutes des rêves de maison (je persiste à penser que l’arbre infini, avec un peu d’imagination et d’huile de coude, c’est v’lààààààà faisable), d’un chez-soi qui ne serait pas seulement un toit sur la tête mais aussi un lieu à habiter. C’est bien ce « lieu à habiter » que Mona Chollet célèbre et interroge. Le lieu que les casaniers investissent de tout leur temps et toute leur énergie, le lieu que d’autres fuient le plus souvent possible pour parfois le retrouver avec encore plus de délice…

goal : la maison des weasley. pas goal : la charge mentale de molly

L’idée la plus forte de cet essai restera pour moi celle d’une société capitaliste qui valorise nettement l’accès à la propriété mais qui, en même temps, dresse tout un tas d’obstacles entre l’individu et l’investissement réel de son propre espace. Parce qu’il faut en avoir une, déjà, de maison. Du genre salubre. Premier gros hic quand on s’attarde un moment sur les chiffres du mal-logement.

Et puis il y a LE TEMPS. Celui confisqué par le travail, les horaires, les tâches ménagères (et leur ribambelle de sexisme), par la nécessité économique de rentabiliser au max le peu de ce fameux temps qui nous reste le weekend et les vacances, par la nécessité d’en gagner, mais aussi le monde extérieur qui s’infiltre par la lucarne de réseaux sociaux difficilement gérables (COUCOU ADDICTION DU SCROLL INSTAGRAM). Investir sa maison, son foyer, la famille qu’on s’est choisie, ce n’est pas évident.

« Le temps est le trésor vital des casaniers. Il leur en faut beaucoup, bien plus que normes sociales ne sont disposées à leur en accorder. Il leur en faut une profusion dans laquelle ils pourront plonger, s’ébattre, s’ébrouer, virevolter. Weekends et vacances sont appréciables, mais dérisoires, autant être lucides. Un site consacré à la décoration intérieure invite les propriétaires des maisons ou des appartements photographiés à écrire sur une page de carnet ce qu’ils aiment le plus faire chez eux. Au milieu de réponses convenues (« profiter de la présence de mon mari et de ma fille », « préparer de bons diners pour mes amis »), celle-ci se détache : »Perdre la notion du temps. » Sauf que cette aspiration se heurte à un nombre d’obstacles dont la seule énumération donne le vertige. »

J’ai lu ce merveilleux livre qui fait le tour complet de la maison comme image de soi et du monde très lentement, en imaginant que mon fauteuil était installé à l’abri de l’une des grandes feuilles de l’arbre de Claude Ponti. Et puis j’ai relevé la tête, j’ai fait le tour de mon cocon, le vrai, et je me suis dit que je ne voudrais être nulle part ailleurs.

Mona Chollet, Chez soi, une odyssée de l’espace domestique, Zones, La Découverte

2 réflexions sur “« Autour de la maison, l’arbre sans fin dort encore. »

  1. Salut! Cela fait quelques temps déjà que je lis ton blog et il me plaît beaucoup (j’ai très souvent le sourire aux lèvres, voire la rigolade en cascades!)
    Je suis en train de lire Beauté fatale de mon côté et j’aime énormément. Pour l’instant, Chez soi est resté dans mes cartons en France donc je prends mon temps avec le livre que j’ai…
    Quelle écriture! Elle pense à tout!

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    • Oooh merci beaucoup pour ton message, ça fait chaud au coeur ! ❤
      Beauté fatale est aussi dans ma bibliothèque, je pense le sortir très vite pour le coup ! Et oui je suis toujours soufflée par sa capacité à englober l’ensemble d’un sujet, sans parler de sa vision toujours féministe et inclusive.

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