La théorie du vernis

Bon, on est tous et toutes plus ou moins d’accord, cette rentrée 2020, comment dire… pas dingue quoi. Entre la pandémie, l’actualité sinistre, le gouvernement encore plus sinistre et le report de Kaamelott, même la plus jolie saison de l’année avec son doux parfum de citrouille peine à rattraper le coup. Comme il n’est pas possible de ragequit la vie, en ce moment, je compulse fiévreusement toutes les petites raisons de se réjouir d’exister. Et je dois dire que l’essai de Rutger Bregman dont je vais vous parler aujourd’hui est tombé entre mes mains à point nommé.

Entendons-nous bien, je fais partie de ces personnes qui ont tendance à penser que « les gens sont des cons ». Entre les incivilités à répétition dans la rue (en période covid c’est bonus x1000), les tweets stupides et méchants, les déclarations aberrantes ou dangereuses d’un énième ministre, la découverte d’une nouvelle espèce animale disparue à cause de la déforestation… à la fin de ma journée, ouais, j’ai tendance à me dire qu’il n’y a pas grand chose à sauver dans l’humanité. Aussi, en lisant simplement ce titre « Humanité, une histoire optimiste » et un bout de la quatrième, j’ai à peu près réagi de cette façon :

« Eh, j’ai besoin de bonnes nouvelles, pas de naïveté sponsorisée par de la lessive au sucre ! » que je me suis esclaffée en partant de mon rire le plus cynique. #lavieestunthéâtre Bon, et puis après j’ai arrêté de juger le livre à sa couverture et j’ai décidé de l’utiliser correctement, c’est à dire de lire les mots à l’intérieur.

Ce à quoi s’attaque l’historien néérlandais connu pour avoir popularisé la notion de revenu universel aux Pays-Bas dans ce livre, c’est la « théorie du vernis » les enfants. Cette théorie, largement installée dans nos petits cerveaux, veut qu’à la moindre crise, au moindre conflit ou amorce de déclin de la société, alors l’humanité montrera aussitôt son vrai visage : LE MAL. Nous serions naturellement MAUVAIS et seules les règles de la société moderne contiendraient ce MAL.

Cette théorie, on est un paquet à l’appeler « la réalité » ou, autre terme technique fréquemment usité « bah ouais mec, sois pas naïf ». Mais cette fameuse réalité, l’auteur veut nous démontrer qu’elle est largement construite. De l’histoire, des sciences, de la sociologie, nous avons retenu le sensationnel, parce que la psyché humaine y est facilement sensible d’une, parce qu’une minorité a bien intérêt à ce qu’il en soit ainsi, de deux, parce que les médias contribuent largement à fausser notre perception de ce qui est réel, de trois. Il n’y a pas de quatre. 

Loin d’adopter un point de vue simplement optimiste sur une supposée bonne nature chrétienne de l’être humain, l’auteur nous fait voyager à travers les mythes qui ont été construits et massivement relayés sur l’âme irrémédiablement mauvaise de l’homme, en s’attachant à les recontextualiser et souvent, à les démonter proprement. De l’expérience célèbre de Milgram sur l’obéissance qui a fait frémir le monde entier en lui exposant de « braves gens » électrocuter des inconnus seulement parce qu’on le leur demandait, à la « prison sociologique » de Stanford, l’auteur revient sur des expériences fascinantes mais bien peu scientifiques à partir desquelles on a établi des conclusions sur le pourquoi du comment le nazisme avait pu triompher un jour par exemple. 

Le mal, les guerres, l’injustice, tiens le nazisme, ça existe et au fil de ma lecture, j’ai attendu ce moment où je pourrai lever la main pour gueuler « OUAIS ET DONC COMMENT T’EXPLIQUES TOUT CA SI LA MAJORITE DES GENS SONT SI GENTILS HEIN HEIN? »

Et c’est là que Rutger Bregman pose tranquillement qu’il est bien pratique de se dire que l’homme est naturellement mauvais, que c’est la fatalité, plutôt que de remettre en cause la violence intrinsèque des institutions, des systèmes de pouvoir, de l’organisation capitaliste et par essence, inégalitaire et source de conflits, de notre société. J’ai découvert un tas d’anecdotes historiques incroyables (si les statues de l’île de Pâques vous ont toujours intriguées, foncez, et promis c’est en rapport), hautement positives et bien sûr non retenues pour la postérité, notamment sur les conflits armés, qui m’ont vraiment remis du baume au coeur.

Lire ce livre, ça fait un bien fou, et pas juste parce que son auteur nous enjoindrait à coller un bon vieux sourire sur notre face, mais parce que ce qu’il avance tient foutrement la route face au reste. Alors, non, je ne vais pas arrêter en un claquement de doigts de penser que « les gens sont des cons » mais j’ai été particulièrement sensible à deux choses qu’il dit dans le livre :

  • Prenez le temps de vous attarder sur les gens que vous aimez, si vous êtes capables de dire que ce sont des gens biens, imaginez maintenant que votre voisin.e doit bien se dire la même chose, et qu’au final, ça en fait, un paquet de gens biens. Ou alors tout le monde a tort, et qu’est-ce qui est le plus probable ?
  • Faire confiance, ce n’est pas facile, mais parfois ça peut valoir le coup. Si on nous trahit, on s’en rendra forcément compte un jour. Mais si on ne fait jamais confiance, alors on ne saura jamais à quel point on est passés à côté de quelqu’un qui le méritait.

Faites-moi confiance du coup, éteignez BFMTV et ouvrez Humanité, en cette fin 2020, ça fait du bien.

Rutger Bregman, Humanité, une histoire optimiste, Seuil

8 réflexions sur “La théorie du vernis

  1. Je suis exactement dans le même état d’esprit en ce moment : l’actualité particulièrement anxiogène ne nous aide vraiment pas… J’aurais bien besoin d’un peu d’optimisme. Cet essai a l’air vraiment très intéressant. Merci beaucoup pour la découverte! Je note…

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  2. J’achète !
    Toi même tu sais je suis la plus grande sceptique de l’univers sur la question de l’humanité hein… mais je veux bien entendre ce qu’on a à me dire pour mettre un peu d’eau dans mon vin 😀
    Parce que je dois avouer que des gens bien, voir même merveilleux j’en côtoie quelques uns (#meilleurbinomedelaterre) alors pourquoi pas ? 🤗😘

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