Les Primitifs

Après Morwenna, piocher ma prochaine lecture parmi tous les classiques de la SF équivalait à choisir entre papa et maman, mais j’ai fini par opter pour Les Monades urbaines de Robert Silverberg qui trainait dans ma bibliothèque depuis un petit moment déjà. Environ deux-cent cinquante pages qui n’attendaient qu’à être dévorées/tuées/explosées en quelques heures seulement…

2381, la Terre abrite désormais soixante-dix milliards d’êtres humains (bonjour l’angoisse) grâce à de nouveaux habitats, les monades urbaines, de gigantesques tours d’un millier d’étages au sein desquelles toute frustration est évacuée grâce à une liberté sexuelle totale et à l’abandon de tout concept d’intimité. Le seul objectif assigné à la population mondiale est de se multiplier encore et encore puisque les capacités d’accueil semblent illimitées et qu’aucun autre principe ne saurait assurer leur bonheur. Les individus isolés qui s’en éloignent portent en eux une dangereuse déficience qu’il convient de rectifier ou à défaut, d’annihiler…

Verticalité, surpopulation, hiérarchie des étages et sexualité débridée sont autant de thèmes qui m’ont immanquablement rappelé le sublime I.G.H de Ballard (dans la Trilogie de béton que je vais vous recommander pour la quatorzième fois au moins), donc forcément, j’avais hâte de m’y mettre ! Ce que je commencerai pas dire, c’est que Les Monades urbaines fait partie de ces romans fabuleux qui peuvent être résumés par leur premier chapitre. Nicanor Gortman, un scientifique venu de Vénus débarque sur Terre, tout en haut de Monade urbaine 116, pour observer le mode de vie terrien. Charles Mattern a été désigné pour lui servir de guide et lui parler du fonctionnement de la tour : la formation des couples dès le plus jeune âge, les objectifs de familles nombreuses, la séparation des étages en quartiers portant le nom d’anciennes villes, le refus de l’intimité, le droit de tout habitant à disposer librement du corps de son prochain et surtout ce bonheur, cette joie de la procréation qui irradie partout. Mais dès son premier jour d’observation, Gortman va être témoin d’un incident : un homme fou furieux s’en prend physiquement à sa femme enceinte. Un événement isolé lui assure Mattern. Ah oui ? Vraiment ? Tout est là.

Le truc magique avec ce bouquin, c’est qu’il m’a suffit de quelques pages seulement pour intégrer totalement les règles qui régissent l’univers des monades, pour les trouver vraisemblables. (Je vous déconseille en revanche à l’issue de cette lecture d’exiger des faveurs sexuelles de vos voisins au nom de la procréation « Dieu soit loué », ils risquent de ne pas adhérer à 100% au projet). Ce que je veux dire c’est que pour créer un univers aussi dense, aussi cohérent, deux-cent cinquante pages, c’est peu. C’est même rien du tout. Notre nouvel ami Robert Silverberg l’a fait.

A travers les yeux de quelques habitants de la monade qui, tous à leur façon, vont éprouver leur foi en la devise sacrée de l’accroissement du genre humain, l’auteur égratigne peu à peu l’utopie des monades. Jason découvre le sentiment de la jalousie, insensé et prohibé au sein de la tour. Son beau-frère, Micael, rêve de l’ancien monde et de sortir du bâtiment. Un certain Siegmund va éprouver le poids de la hiérarchie avec un peu trop d’acuité… Séparation des classes, système replié sur lui-même et élimination pure et simple de tout individu qui s’écarte de la norme : telles sont les ombres de la religion de la naissance à tous prix et de l’illusoire liberté des moeurs. La liberté qui cache le totalitarisme. Si ça, c’est pas fascinant, je ne peux plus rien pour vous les enfants.

Robert Silverberg, Les Monades urbaines, Le Livre de Poche 

6 réflexions sur “Les Primitifs

    • Je confirme ! Je suis contente d’avoir découvert l’auteur avec ce titre. J’ai aussi lu presque aussitôt après L’oreille interne, considéré aussi comme un de ses chefs d’œuvre et je suis un peu plus tiède pour le coup.. 😉

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